Hide and seek (PV Nathan)

Le Destin ne se battait jamais contre personne. Cette phrase n’avait pas forcément le sens que l’on pensait. Certains pouvaient penser que le Destin ne sortait jamais les poings, qu’il intervenait avec stratégie dans les événements, dans l’ombre. C’était très souvent vrai. Mais, le sens profond de cette phrase résidait dans le fait que le Destin ne se battait contre personne, parce que, ayant la connaissance de toute chose, il appliquait l’équation cosmique du Grand Plan et n’avait pas pour cela besoin de se battre contre quelqu’un. Un Tsunami ne se battait pas contre l’île qu’il submergeait.

Nombreux, en revanche, demeuraient ceux qui voulaient se battre contre lui. Souvent en y mettant un talent et une détermination aussi extraordinaire qu’inutile. Nathan Harris faisait partie de ceux-là. Depuis que Viktor Eon était venu chercher Frankie Rosenberg, il n’avait eu de cesse de la chercher, déployant des trésors d’ingéniosité qui auraient surement marché dans la majorité des cas. Mais ici, il tentait de trouver quelque chose qu’on ne peut pas chercher. On ne décidait jamais quand le Destin venait frapper à la porte et dans bien des situations, on regrettait ensuite amèrement d’avoir voulu provoquer une puissance qui réduisait tout sous son empire.

Aujourd’hui, Nathan Harris allait être exaucé. Le Destin allait se manifester à lui. Mais, comme toujours, ce ne serait pas sur les termes du jeune homme. Aujourd’hui, après l’entraînement, il serait le dernier à trainer dans les vestiaires. C’était ce moment là que Viktor avait choisi. Alors que le jeune homme prenait encore sa douche et s’apprêtait à en sortir, Viktor Eon pris place sur le banc directement placé face à la sortie des douches, sa canne posée à côté de lui. Dans ses mains, un énorme cornet rempli d’un popcorn encore chaud et copieusement arrosé de caramel. Comme une forme d’avertissement, l’odeur extraordinaire de la sucrerie se répandait dans tout le vestiaire. Eon les dévorait avec une remarquable efficacité. Lorsqu’enfin le moment vint où Nathan sorti. Bien sur, le Destin ne le voyait pas, mais il savait. Aussi, il ne se donna même pas la peine de bouger la tête pour l’accueillir. Avec sa bonhommie naturelle, Eon déclara d’un ton jovial.

-Il parait que tu me cherches, Nathan.

C’était un euphémisme. Pour retrouver Eon et Frankie, il avait remué ciel et terres. Son inquiétude avait éclaboussé le Grand Plan comme une jugulaire qu’on découpe à la machette. Pourtant, la machine qui tenait la réalité ensemble n’avait rien laissé paraître de cette souillure et pour cause, elle ne l’entravait pas, elle ne la dérangeait pas, en réalité, elle n’avait même jamais atteint sa cible. Il fallait cependant en saluer les efforts. Toute action avait des conséquences et aujourd’hui, Nathan allait surement devoir affronter la réaction d’un Destin qui appréciait peu qu’on le traque comme une bête.

Comme le disait la grande philosophe Dua Lippa, training season is over.

-Me voici.

Tu viens de gagner le match avec ton équipe. Les gens dans les gradins étaient en feu ce soir, mais pas autant que l’équipe de Sunnydale. C’était une victoire importante, mais malgré cela, une ombre pesait sur ta joie. Frankie n’était pas là pour partager ce moment avec toi. Elle n’était pas là pour agiter ses pompoms et te sourire. Alors gagner ou perdre, qu’est-ce que ça changeait ?

Après le match, Jeremy et Alec t’avaient invité à boire un verre, mais tu avais refusé. Tu préférais prendre ta douche tranquille. Tu avais besoin de ce moment seul. Tu savais que tu te masturberais quand il n’y aurait plus personne, laissant échapper toutes les frustrations et la douleur que tu ressentais. Tu rentrerais ensuite te coucher, mais même l’idée de baiser Lukas, avec qui tu avais une relation, ne te motivait pas ce soir.

Tu détestais du plus profond de ton être le Destin pour t’avoir enlevé ta meilleure amie. Tu te sentais impuissant face à cette force qui avait décidé de séparer Frankie de toi. Une odeur intense de caramel remplie tes narines et se mélange à l’odeur de ton gel douche. Drôle de mixe dont tu ne boirais pas le cocktail s’il existait. Après avoir fini tout tes trucs, incluant ta satisfaction et ta détente personnelle, tu sors de la douche et maintenant, tu te tenais là, face à Viktor Eon, une autre personne qui semblait manipuler les fils de ta vie. Tu étais déterminé à obtenir des réponses, peu importe les obstacles, mais à quoi bon ? Tu savais qu’avec lui, ça ne servait strictement à rien.

Allez dont voir ailleurs si j’y suis. Et si j’y suis, oubliez-moi.

Eon, tout Destin qu’il était, possédait des sentiments contradictoires vis-à-vis de ces petits primates primitifs qu’on appelait l’humanité. Dans le flux des choses et du Grand Plan, cette race insignifiante disposait d’une place particulière, eu égard à sa faiblesse. Après tout, pour être éprouvé, il fallait être faible puisque chez les humains, l’épreuve seule rendait fort.

Aussi, et quoi qu’il sache très bien quelle serait la réaction du jeune homme, Eon lâcha un soupir de déception. Voilà un jeune homme, qui se prétendait solide, qui avait l’avenir devant lui, de l’ambition et de la détermination et qui, une fois qu’il avait devant lui ce qu’il avait passé des mois, un temps considérable à son échelle, il se réduisait à l’état de loque. Le départ de Frankie semblait l’avoir brisé. Comme toujours, face à l’épreuve, on pouvait la surmonter ou s’y empaler. Nathan Harris avait choisi la seconde option. Qui aurait pu imaginer, en dehors d’Eon, que le fils de Xander Harris, celui qui ne lâchait jamais rien, pouvait ainsi se laisser complètement déborder par l’absence de quelqu’un ?

Et, dans une certaine mesure, c’était la raison de la venue d’Eon. Contrairement à ce que pensait le jeune homme, le Destin ne tenait pas les fils de sa vie, au contraire, il venait lui proposer de briser la chaine de la défaite dans laquelle il s’était enroulé à plaisir ;

-Nathan…Nathan Nathan Nathan…

Eon secoua la tête. Décidément, comme l’avait dit le comique Pierre Desproges, si l’humanité était un cafard, la jeunesse était son ver blanc.

-Huit mois que tu remue l’univers pour essayer de me trouver et là, tu me dis d’aller voir ailleurs si tu y es ? Tu n’as pas un peu l’impression de te foutre du monde ?

Le Destin fit une légère moue en mangeant son pop corn.

-C’était bien la peine de faire tous ces efforts, d’avoir toutes ces questions à me poser, pour finir par vivre une existence de zombie dont le seul moment de détente est de se toucher dans les douches. Un peu de dignité. Crois-tu que Frankie accepterait que tu te réduises dans cet état ?

Il claqua la langue.

-J’ai ma petite idée sur la question.

Tu étais là, face à Eon, qui semblait te juger avec sévérité. Tu sentais sa déception envers toi, et cela te faisait pas un pli sur les couilles. Tu avais passé des mois à chercher Frankie, à essayer de comprendre pourquoi elle avait disparu, mais maintenant que tu avais enfin une piste, tu te sentais perdu, dépassé par la situation. Tu avais l’impression d’être devenu une coquille vide, incapable de trouver un sens à ta vie sans elle. Tu retiras ta serviette d’autour de ta taille la laissant tomber par terre. De toute façon ce n’était pas un aveugle que tu allais choquer avec ton manque de pudeur. Bien qu’il y avait de la marchandise à regarder, lui ne voyait rien.

Eon te rappela que tu avais passé huit mois à le chercher, à vouloir des réponses, et maintenant que tu étais là, tu lui disais de partir. Il te demanda si tu ne te fichais pas un peu du monde, si tu ne réalisais pas à quel point tu te laissais aller. Tu as presque envie de rigoler, car c’est exactement ce que tu penses. Tu te fous du monde et tu ne veux plus rien savoir de ceux qui t’entourent.

Exact. Que tout le monde se fassent foutre. Toi également.

Il évoqua ta dignité, te rappelant que Frankie n’accepterait pas de te voir dans cet état. Il avait une idée sur la question, une idée que tu redoutais d’entendre. Tu étais prêt à tout entendre, mais tu savais que les mots d’Eon pourraient être durs à encaisser. Chaque fois qu’il avait parlé avec l’un de tes amis, ça c’était mal terminé. Il n’y avait que Faith qui n’avait pas été malmené. Peut-être que si en fait ? Tu ne peux pas savoir. Elle est tellement folle que sa façon de te raconter les choses avait peut-être été changée pour se mettre en valeur. Ton père t’avait toujours dit de ne pas se fier à elle et de ne pas croire ce qu’elle pouvait bien dire.

Et bien gardez vos idées et tant qu’à y être gardez aussi vos questions.

La tension était palpable, mais tu devais rester fort, tu devais trouver la force de continuer, pour Frankie, pour toi-même. Tu savais que le chemin serait difficile, mais tu étais prêt à affronter le Destin, à affronter ta propre destinée, quoi qu’il advienne. Tu es comme Jack Sparrow, tu es le maître de ton propre destin.

Tu terminas de t’habiller et tu refermas ton casier pour ensuite te retourner vers lui avec les bras croisés. Ton sac de sport sous ton bras, tu fronçes les sourcils et tu te demandes ce qu’il peut bien foutre encore là.

Vous voulez me sucer peut-être ? Allez! Dégagez!

Tu t’avances vers lui pour lui rentrer dedans, cognant ton épaule à la sienne. Cependant tu passes à travers. À défaut de pouvoir le cogner, le frapper, le pousser, de lui faire tout ce que tu as envie de lui faire. Tu décides tout simplement de l’ignorer en soupirant. Tu continues ton chemin dans le couloir de l’Université après être sorti des vestiaires. C’est une chance, les couloirs sont toujours illuminés durant la nuit depuis que les Lorentis ont pris possession des lieux. C’est un avantage d’avoir deux fous à la tête de l’UCD  qui veulent que les étudiants révisent jour et nuit. Tu continues de marcher en expirant un énorme soupire.

Eon savait bien qu’il pouvait taper sur les nerfs des gens. Lorsque Nathan fit ce qu’il devait faire, c’est-à-dire essayer de lui foncer dedans, il fut bien marri. Difficile de toucher quelqu’un d’omnipotent et d’omniscient pour qui le temps était à peine un bébé balbutiant ses premiers mots. A cela, le jeune homme ne pouvait avoir qu’une seule arme défensive, la vulgarité. L’invitation à lui prodiguer une fellation laissa Eon de marbre. Ce qui n’était jamais bon signe. Le Destin goûtait peu certaines formes d’impertinence. En réalité, s’il appréciait l’humour, il méprisait la vulgarité.

Eon n’avait pas bougé des vestiaires, jambes croisées, à manger son popcorn. Si Nathan pensait que fuir était son issue, il se trompait. Eon savait exactement ce qui allait le mettre au bord des nerfs. Le Destin ne se donna pas la peine de le suivre, non. Il fit bien mieux. Il communiquait avec lui, à distance, par télépathie.

-Tu peux bouger, mais tu ne peux pas fuir, Nathan. Nous pouvons avoir une discussion normale, ou bien je peux te rendre fou à te jeter sous un train.

Après cette petite déclaration, le Destin fit raisonner dans la tête du jeune homme un groupe de musique folklorique suisse, des yodleurs. Il lui faisait même la grâce de lui envoyer la vision de ces vieux chanteurs ventripotents qui chantaient avec enthousiasme, mais, sinon, ce n’était pas drôle, ils chantaient épouvantablement faux, et incroyablement fort. Eon ne s’arrêta pas là. En effet, il s’était assuré, avant que le jeune homme ne lui fasse faux bon, que le sol ait été ciré par l’homme d’entretien, naturellement, il avait bien forcé sur le produit, transformant le couloir dans lequel se trouvait le pauvre Harris en une véritable patinoire qui mena naturellement à une chute de toute beauté, sur fond de Yodle faux. Cerise sur le gâteau, pour une raison inexplicable, en tombant, on entendit l’alarme incendie se déclencher, et les extincteurs au plafond s’allumer et inonder complètement et le jeune homme, et le couloir qui, de patinoire, devint piscine. Toujours dans l’esprit du jeune homme, le Destin continuait à appuyer là où ça faisait mal.

-Décidément, ce n’est pas ton jour de chance. Tu es bon pour reprendre une douche. Malheureusement, avant que tu ne penses pouvoir en prendre une dans ta chambre, je t’avertis qu’il y a eu un dégât des eaux. La canalisation de tes toilettes à malencontreusement explosée… Je t’épargne l’odeur mais je pense que tu ne vas pas y dormir de sitôt.

Oui, le Destin pouvait être un connard champion toute catégorie dès lors qu’on le traitait avec mépris. Sur un ton autrement plus sérieux, il enchaina.

-J’ai l’éternité devant moi, et je n’ai même pas commencé l’échauffement. A toi de voir si tu veux encore te comporter avec moi comme un sale garnement capricieux ou si tu veux discuter avec moi d’homme à homme. En plus, je n’arrêterai pas le Yodle tant que nous n’aurons pas discuté. Bonne chance pour dormir avec ça à fond dans la tête en permanence.

Nathan se sentait de plus en plus dépassé par la situation. Sa tentative de confrontation physique avec Eon avait échoué, laissant place à une communication télépathique qui le mettait encore plus mal à l’aise. Il essayait de rester calme, mais les mots d’Eon résonnaient dans sa tête, accompagnés du Yodle suisse strident et faux. La vision des chanteurs ventripotents le faisait à la fois rire et grincer des dents.

La patinoire improvisée dans le couloir le fit glisser et chuter lourdement, se retrouvant trempé et confus au milieu de la piscine inattendue. L’alarme incendie et les extincteurs n’arrangeaient rien, créant un chaos absolu autour de lui.

Nathan réalisa alors qu’il n’avait d’autre choix que d’affronter Eon, non pas physiquement, mais en engageant une discussion sérieuse. Il avait compris que le Destin pouvait être impitoyable, surtout lorsqu’on le traitait avec mépris. Pour un être qui est censé être neutre, le destin n'était qu'un sale con, enfin... C'était l'opinion que Nathan se faisait de ce manitou aveuglé par sa soif de dominer le monde et de tirer chaque ficelle. Respirant profondément pour se calmer, Nathan se redressa, en se retournant pour regarder fixement Eon.

D’accord, Eon. Parlons sérieusement si ça peut arrêter ce fichu Yodle nul as fuck. Je veux des réponses. Pourquoi Frankie ? Pourquoi venir me faire chier maintenant ? Qu’est-ce que tu attends de moi ?